Madame la Ministre,
Je m’appelle Nouchette. Je suis une jeune fille de bientôt
19 ans, handicapée mentale à plus de 80%. Pour l’instant, je suis dans un IME en
semi-externat. Je rentre chez moi tous les soirs.
Tous ces renseignements figurent déjà dans des billets du
blog, mais comme je pense que vous êtes très occupée, je vous ai fait un petit
résumé rapide.
Alors voilà… Si je me décide à vous écrire aujourd’hui (même
si je n’ai pas tellement l’espoir que vous lisiez ma lettre vu que ma maman
vous en a déjà écrit une et que vous n’avez pas donné suite…), c’est que ma
Maman a l’air un peu désespérée.
Pour mes 20 ans, il va falloir que je change
d’établissement. C’est pas que j’en sois très réjouie, mais j’ai pas tellement
le choix.
Pour mon établissement futur, ma Maman avait d’abord pensé à
une MAS. Mais mes éducateurs ont réussi à la convaincre que je serais
certainement mieux en CAJ (ou ADJ).
Alors Maman en a visité plusieurs (4 jusqu’à présent). Elle
a aussi visité une MAS, un FAM et un foyer d’hébergement.
Et à la suite de ces visites, elle est un peu déprimée…
Je vais essayer de vous expliquer pourquoi :
- Les CAJ ne sont pas tout à fait bien adaptés pour moi.
En gros, je risque d’avoir un peu de mal à suivre le groupe (ça Maman n’en est
pas sûre, mais quand elle visite, c’est l’impression qui ressort).
Le problème, c’est qu’en MAS ou en FAM, ils sont encore plus dépendants que moi et je risque de m’ennuyer…
Le problème, c’est qu’en MAS ou en FAM, ils sont encore plus dépendants que moi et je risque de m’ennuyer…
- Si je reste dans un centre en semi-externat, les
horaires sont les suivants : 9h à 16h. Vous terminez votre travail à
quelle heure Madame la Ministre ? 16h ? Bah non… On n’est pas tellement
dans des horaires de travail là… Et le problème, c’est que, quand je rentre
chez moi, il faut quelqu’un à la maison…
Vous allez me dire : « Tu as une allocation Nouchette ! Utilise là pour prendre quelqu’un qui sera chez toi quand tu rentreras en attendant que tes parents arrivent ! » Moui… Ceci nous amène directement au point suivant.
Vous allez me dire : « Tu as une allocation Nouchette ! Utilise là pour prendre quelqu’un qui sera chez toi quand tu rentreras en attendant que tes parents arrivent ! » Moui… Ceci nous amène directement au point suivant.
- J’ai une petite sœur, Blondie qui a 15 ans. Elle rentre
en seconde au mois de Septembre. Blondie en a un peu marre d’avoir des
baby-sitters à la maison. Même si elle sait qu’elles ne sont pas là pour elle
mais pour moi, elle trouve pénible d’avoir quelqu’un sur son dos dans sa
maison.
- Les CAJ sont ouverts en moyenne 220 jours par an. A
raison de 5 jours par semaine, on arrive à 44 semaines. Soit 8 semaines de
fermeture.
Vous prenez 8 semaines de vacances Madame la Ministre ? Bah non… Normalement, c’est 5 semaines. Il en reste donc 3. Je fais quoi pendant ces 3 semaines ?
Vous prenez 8 semaines de vacances Madame la Ministre ? Bah non… Normalement, c’est 5 semaines. Il en reste donc 3. Je fais quoi pendant ces 3 semaines ?
- Le transport n’est plus pris en charge par les
établissements maintenant. Dans la ville où j’habite, ils ont mis en place un
système de taxi pour personnes à mobilité réduite. Mais ce système ne
fonctionne que pour les centres qui sont dans l’agglomération. Ceux qui sont
plus loin n’en bénéficient pas.
Du coup, si je suis dans un centre comme ça, mes parents devront se débrouiller pour m’emmener et revenir me chercher le soir (du coup ils devront quitter leur travail encore plus tôt…)
Du coup, si je suis dans un centre comme ça, mes parents devront se débrouiller pour m’emmener et revenir me chercher le soir (du coup ils devront quitter leur travail encore plus tôt…)
- Dans les CAJ, il n’y a pas de prise en charge
d’orthophonie, de psychomotricité ou de kinésithérapie. Si mes séances doivent
continuer, je devrai les faire dans une autre structure.
- Les foyers d’hébergement attenants aux CAJ (les rares
fois où il y en a…) sont pour des personnes qui ont l’air un peu plus autonomes
que moi. Je ne sais pas m’habiller seule, ni me laver. Je ne sais pas non plus
mettre mes couches pour la nuit seule. Du coup, je ne sais pas non plus les
enlever.
En faisant rapide, il faut minimum 15 minutes pour me doucher et me coucher le soir. 30 résidents, 2 personnes : il faut 4 heures pour gérer tout le monde… Le dernier sera couché à minuit…
En faisant rapide, il faut minimum 15 minutes pour me doucher et me coucher le soir. 30 résidents, 2 personnes : il faut 4 heures pour gérer tout le monde… Le dernier sera couché à minuit…
- Dans les foyers d’hébergement, on ne peut pas sortir
tous les week-ends. On a le droit en moyenne de sortir 60 jours. Ça fait environ
deux semaines l’été, une semaine à Noël et à peine un week-end sur deux. C’est
peu… Mes parents veulent bien souffler de temps en temps mais ils veulent me
voir aussi. Et c’est la même chose pour les MAS et les FAM.
- J’ai gardé le meilleur pour la fin. Tous ces centres
sont complets. Mais non seulement ils sont complets, mais en plus, il y a des
listes d’attente qui n’en finissent pas…
Savez-vous pourquoi ? Je sais que oui…
Parce qu’il n’y a pas assez de centre pour nous. Ma Maman sait qu’il y a peu de risques que je sois obligée de rester à la maison après mes 20 ans. Mais elle sait aussi qu’il y a un grand risque que les seules places que l’on me trouve soient dans des centres qui ne lui plaisent pas…
Savez-vous pourquoi ? Je sais que oui…
Parce qu’il n’y a pas assez de centre pour nous. Ma Maman sait qu’il y a peu de risques que je sois obligée de rester à la maison après mes 20 ans. Mais elle sait aussi qu’il y a un grand risque que les seules places que l’on me trouve soient dans des centres qui ne lui plaisent pas…
Donc… Si je récapitule, soit je reste en externat, et c’est
la galère le matin et le soir pour le transport et pour me garder après le
centre. Et je suis chez moi tous les jours, tous les week-ends et 8 semaines
par an.
Soit je suis en foyer d’hébergement et mes parents n’ont
plus le droit de m’avoir à la maison comme ils le veulent.
Peste vs choléra…
Je sais que ça doit être bien compliqué à gérer tout ça. Que
moi, pauvre petite handicapée mentale, je ne peux pas comprendre toutes les
contraintes qui existent derrière la création et la gestion de ces centres…
Mais Madame la Ministre, derrière ces centres, il y a nous. Les
résidents.
Et derrière nous, il y a nos parents, nos familles, nos amis
aussi. Qui souffrent…
Ils souffrent parce que c’est déjà bien difficile de devoir
nous assumer et qu’en plus, on ne leur facilite pas tellement la tâche.
Je ne dis pas que vous ne vous en rendez pas compte. Je
pense que vous faites votre maximum pour nous.
Mais il y a une grande différence entre gérer les besoins
des personnes handicapées, et vivre avec une personne handicapée.
Dans le meilleur des mondes, ma Maman, elle dit qu’il
faudrait un centre de jour, avec des horaires un peu élargis. Par exemple de
8h30 à 18h.
Dans ce centre, je pourrais y dormir un ou deux soirs par
semaine (fixes et de temps en temps en plus s’il reste de la place).
Ce centre pourrait également m’accueillir de temps en temps
le week-end (vous n’imaginez même pas combien Papa et Maman sont contents quand
ils peuvent souffler un week-end et faire des choses différentes avec ma petite
sœur).
Je pourrais également y passer une ou deux semaines de
vacances par an.
Les éducateurs seraient en nombre suffisant et tous formés
pour nous. Il y aurait en plus la possibilité d’avoir toutes les séances de
rééducation nécessaires.
Elle sait que c’est beaucoup demander. Mais elle ne comprend
pas pourquoi ce n’est pas possible. Vous pourriez peut-être lui
expliquer ?
Mais il faudra lui expliquer en face.
Et supporter sa réaction.
Mais il faudra lui expliquer en face.
Et supporter sa réaction.
En attendant, elle est persuadée que ces centres pourraient
exister. Et que dans un ou deux ans, quand je devrai quitter le mien, il y en
aura un d’ouvert pas très loin de chez moi et qu’une place m’y attendra.
Ou pas…